vendredi 6 novembre 2009

Le regard figé

Que signifie l'interdiction de se retourner sur la destruction de Sedom ?

Deux envoyés divins viennent pour détruire les villes de Sodom et Gomorrhe ainsi que pour sauver Lot, neveu d'Abraham, et sa famille. En les faisant sortir de la ville de Sodom, les envoyés demandent à Lot de ne pas se retourner et de ne pas s'arrêter durant sa fuite vers la montagne de peur qu'il ne perrisse. La femme de Lot paie cher sa désobéïssance (Gen. 19, 24 - 26).
"Et l'Eternel fit pleuvoir sur Sodom et sur Gomorhe du souffre et du feu provenant de l'Eternel, des cieux. Il anéantit ces villes, ainsi que tout le circuit, tous les habitants des villes et les germes du sol. La femme de Lot regarda en arrière et elle devint un tas de sel."

On pourrait interpréter l'attitude de la femme de Lot comme un voyeurisme morbide, bien connu de nos sociétés. Observer l'anéantissement de milliers de vies, fussent-elles celles des habitants de Sodom, fusse même dans un esprit de compassion et de pitié, n'aide en rien celui qui souffre - ou celui qui regarde. Ce qui ne signifie pas qu'il faille rester impassible à la douleur des autres. Loin de là ! Quelques versets auparavant, la Tora relate le dialogue entre Dieu et Abraham, ce dernier tentant d'empêcher la destruction des villes. L'idée d'un sentiment de responsabilité qui unisse tous les humains ressort souvent de la Tora. Or, se contenter d'observer, comme on regarde un spectacle, la tragédie bien réelle des autres, verser une larme, émettre un soupir puis s'en retourner en pensant ainsi alléger notre conscience ne relève en rien de la compassion et de l'amour d'autrui.
Bien évidemment l'image choque plus que les mots. Partant de ce principe, elle paraît être le meilleur support pour transmettre l'information, allerter et révolter. Or tel est précisément le point auquel il convient de réfléchir. Ne pouvons-nous pas nous émouvoir et agir efficacement et durablement à la simple connaissance d'une injustice ou d'un malheur. Nous le savons, nombreux sont ceux qui souffrent loin de nos regards et donc si peu dans nos coeurs.
Du sang, des visages d’enfants martyrisés, des nations entières prises dans le tourbillon meurtrier de la haine et du désespoir ; voilà de quoi satisfaire les spectateurs voyeuristes du Grand Théâtre du Monde. S'arrogeant le droit, tout naturellement, insolemment, de fixer de leurs regards la vie des autres, ils tentent ainsi de combler le vide de leur existence par des morceaux d'histoires vécues par d'autres.
Concernant le récit de la femme de Lot, c'est sa propre ville qu'elle observe, c'est donc en direction de son histoire qu'elle se retourne pour la fixer du regard. C'est alors qu'elle devient un tas de sel. Le sel représente ce qui ne change pas. Cela nous apprend qu'il existe un certain risque à se pencher sur son passé. Le « devoir de mémoire » ne doit pas empêcher d'aller de l'avant. L'histoire de la femme de Lot « n'avance plus », elle se fige.
Les envoyés ne demandent pas à Lot d'oublier cette destruction ou de ne pas en tenir compte. Il doit être capable, sans se retourner, en allant toujours de l'avant, sur le trajet de sa propre existence, vivre avec cette mémoire douloureuse. C'est dans la vie qu'il va mener et dans les principes qu'il poursuivra qu'il ne laissera plus de place à une nouvelle destruction.

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