mardi 11 mars 2014

Vayigash : Le rapprochement de Yehouda et Yosseph


Vendu par ses frères, Yosseph est amené comme esclave en Egypte. Sachant interpréter les rêves de Pharaon, il devient le Vice-Roi. Il rencontre quelques années plus tard ses frères à qui il cache son identité. Il les prend au piège et les contraint à faire amener leur plus jeune frère Binyamin. Il dissimule sa coupe dans le sac de Benjamin et réussit ainsi à l’accuser de vol et à le garder prisonnier. Yéhouda intervient alors et pousse enfin Yosseph à se révéler.

Le stratagème de Yosseph


Toute la sidra miqets ne forme qu'un paragraphe car tous les épisodes sont extrêmement liés, indissociables. Yosseph sort de prison, interprète les rêves de Pharaon et devient Vice-Roi d'Egypte. C’est lui qui organise et dirige l’économie de ce pays pendant les sept années d’abondance. Puis, durant les années de famine, il étend son pouvoir sur toute la région. Il retrouve alors ses frères, descendus en Egypte pour nourrir leurs familles.

Yosseph cache à ses frères son identité et agi à leur égard de façon très mystérieuse. Il tend ainsi peu à peu son piège. Il les contraint à répondre à toutes ses questions et à se soumettre aux règles qu’il leur impose. Ils ont l'impression d'agir librement mais chacune de leur attitude est prévue d'avance par Yosseph. Comme un grand joueur d'échec, il joue en ayant à l'esprit plusieurs coups d'avance. Les frères de Yosseph réagissent eux au coup par coup et croient à chaque fois faire pour le mieux. Ils ne se doutent pas que c'est précisément ainsi qu'ils suivent le plan imaginé par Yosseph. Malgré toute leur bonne volonté et celle de Juda en particulier, la descente de Benjamin et ses frères en Egypte se dirige vers l’issue tragique redoutée par Jacob.

Le découpage que fait la massora de ce récit peut, au premier regard, paraître surprenant : une seule grande parasha / un paragraphe qui débute avec les rêves de Pharaon (Gen. 41) et qui se poursuit sans interruption jusqu’aux premières répliques du dialogue entre Yehouda et Yosseph.
La décision de Yosseph est alors de renvoyer ses frères vers leur père, Binyamin étant gardé en esclavage (43, 17). Un petit espace sépare alors ce long texte (146 versets) de la suite du dialogue, la dernière réplique de Yéhouda.
Ce silence au sein du dialogue est encore plus remarqué lors de la lecture hebdomadaire de la Tora. La sidra Miqets correspond au long paragraphe se concluant par le début du dialogue entre Yehouda et Yosseph. La suite du dialogue introduit la sidra vayigash, lue le shabbat suivant.
Que signifie cette interruption à l'intérieur du récit ? Ce que Yehouda va dire à partir de ce moment est certainement différent de ce qui précède. Ainsi, l'observation formelle du texte pousse à rechercher des informations issues du texte lui-même afin de véritablement saisir le sens de la dernière intervention de Yehouda , qui elle-seule contraint Yosseph à se révéler.

Le mutisme de Yéhouda


Effectivement, à la fin de la sidra miqets, Yehouda a déjà parlé et Joseph a répondu. Mais la discussion s'arrête là. Comme l'a dit Yehouda à Yosseph :

"Que dirons-nous à mon seigneur? Comment parlerons-nous pour nous justifier ? Nous voici esclaves de mon seigneur, nous aussi et celui dans la main duquel s’est trouvée la coupe. Il [Yosseph] répliqua : Loin de moi d’agir ainsi. L’homme au main duquel la coupe s’est trouvée, sera mon esclave. Quant à vous retournez en paix auprès de votre père."

En ce moment quand Yehouda parle c'est pour affirmer qu'il n'a rien à dire. La suite de la discussion occupe pourtant la nouvelle parasha.

Yehouda sait que son père est attaché à Binyamin, c’est pourquoi il a promis de le lui ramener, mais que peut-il dire ? Un silence pesant s’installe. Ce silence est celui de l’apparente insensibilité du Vice-Roi. Ce silence est également celui de l’amertume de Yehouda . Il voit son frère devenir esclave et échoue dans sa volonté de bien faire. Il souffre déjà du sort qui attend son père. La Tora inscrit ce silence dans le blanc qui sépare la sidrat miqets de celle de vayigash.

Durant ce court moment, Yehouda tente de contenir sa souffrance. Son cœur est serré, son esprit est agité. "Que puis-je faire ?" se dit-il sûrement. "Je n’imaginais pas que Binyamin serait accusé de vol. Mais comment l’annoncer à notre père ?" Yehouda doit admettre son échec. Cependant d’autres pensées le traversent. Pourquoi cela arrive-t-il ? Comme ses frères et lui l’avaient déjà affirmé :
« Mais nous sommes coupables envers notre frère [Joseph] ; duquel nous avons vu la détresse de son âme lorsqu’il nous criait grâce, et nous n’avons pas écouté. C’est pourquoi, cette détresse nous est venue. »
Yehouda et ses frères revivent, par une mystérieuse contrainte, la vente de Yosseph. Binyamin est lui aussi fils de Rahel et fils préféré de Ya'akov. Ses frères l’ont amené dans le même pays. Leurs chameaux étaient chargés de baume, d’épices et de lotus comme l’étaient ceux des caravaniers qui ont emporté Yosseph. Ils espéraient que ces coïncidences ne présageraient rien de mal. Et Yehouda, qui était l’instigateur de la vente de Yosseph, désire maintenant, personnellement, sauver Binyamin, éviter que l'histoire ne se répète. Mais malgré lui, il a reproduit la vente de son frère. Malgré toute leur bonne volonté et celle de Yehouda en particulier, la descente de Binyamin et ses frères en Egypte se dirige vers l’issue tragique redoutée par Ya'aqov. Cela ne peut être fortuit.

Serait-ce la force du destin qui s'acharne contre Rahel et ses fils ? Cette idée conforterait bien Yéhouda et ses frères. Mais ils s'interdisent de le penser. Les frères s'exclament plutôt :

« Qu’est-ce que D. nous a fait ? »

Et en découvrant la coupe dans le sac de Binyamin, ils ne s’en prennent qu’à eux :
« D. a trouvé la faute de tes serviteurs. »
Pour avoir vendu leur frère, Yehouda et ses frères seraient donc condamnés plus de vingt ans plus tard à perdre un nouveau frère ? ! A lépoque, ils ne s’étaient souciés ni de fraternité, ni de l’unité de la famille d’Israël, ni même du respect de leur père. Aujourd’hui, ils comprennent l’importance de ces valeurs. Leur sanction serait donc de revivre le même épisode, maintenant qu’ils sont assez sensibles pour en souffrir. Ils souffrent même doublement, pour Binyamin et pour Yosseph.

Mais alors, cela signifierait que l’on ne peut réparer son passé, que D. ne pardonne pas ; même à ceux qui regrettent sincèrement leur faute ?


Yehouda refuse de se résigner. Il veut arrêter l'enchaînement du mal qu’il a entraîné. Ce mouvement destructeur a emporté Yosseph, déchiré une famille, endeuillé la paisible vieillesse de Ya'akov et s’apprête à emporter encore Binyamin puis à tuer Ya'akov.

Yehouda comprend que, cette fois, sans le vouloir, ses réactions ont participé à ce tragique destin. Lui et ses frères ont observé l’histoire image après image. Ils pensaient bien faire, mais sont allés là où le Vice-Roi les menait. Yehouda veut sortir de cette scène où tout est joué d’avance. Il comprend enfin que ses pensées  et celles de ses frères évoluaient dans un autre monde irréel. Ils étaient absents de la réalité dans laquelle le Vice-Roi d'Egypte règne en maître et se joue d'eux. Yéhouda « quitte » alors la sidrat miqets, où tous les épisodes ne forment en fait qu'un paragraphe serré, monobloc. Yehouda se met enfin en mouvement et parle.
 

La parole de Yehouda



Comme un lion, Yehouda veut rugir, pour briser le silence imposé par le Vice-Roi. Il use de toute sa détermination, son intelligence et son amour pour trouver les mots qui peuvent-être entendus pas le Vice-Roi. Avec beaucoup de respect, il « s’approche » de lui et entame son plaidoyer. Cet homme, qui ne pouvait rien dire il y a un instant, entame d'un coup la tirade la plus longue du Livre de Béreshit.

Yehouda a reconnu n’avoir aucun argument pour défendre Binyamin. Il se place cette fois sur un autre plan. La sidrat vayigash débute alors par le verset suivant :
« Yehouda s’approcha de lui [Joseph] et il dit : De grâce, maître, que ton serviteur fasse entendre une parole aux oreilles de mon maître, et que ta colère ne s’enflamme pas contre ton serviteur, car tu es comme Pharaon. »
Les précautions qu’il prend suggèrent la dureté de ses propos. Il ne peut pas accuser ouvertement le Vice-Roi de les avoir manipulé. Il reprend alors l’histoire mais cette fois dans une vision d’ensemble et décrit l’enchaînement depuis le départ. Comme l'explique Rashy, les accusations ne sont que sous-entendues :
« Tu as commencé avec nous par des ruses. Pourquoi nous avoir posé toutes ces questions ? »

Le monologue de Yehouda se divise en trois parties :

1/ Le récit de tout ce qui s’est passé.
2/ La description de ce qui arrivera à Jacob.
3/ La proposition de devenir esclave à la place de Benjamin.

Il démontre habilement l’injustice et essaie d’éveiller la pitié du Vice-Roi. Sept fois le mot « maître » revient, douze fois « serviteur » et quatorze fois « père ». Ce dernier mot est celui par lequel Yosseph, avec une cruelle ironie, avait clos la sidrat miqets.

« Quant à vous retournez en paix auprès de votre père. »

Quelle paix Yehouda trouvera-t-il auprès de Ya'akov ? Ces mots lui ont donné le courage de s’approcher du Vice-Roi égyptien. Et lui aussi termine par le mot « père » :

« Et maintenant, que ton serviteur reste à la place du jeune homme, serviteur de mon maître, et que le jeune homme monte avec ses frères. Car comment remonterais-je près de mon père et le jeune homme n’est pas avec moi ? De peur que je ne vois le mal qui trouvera mon père. »

Yehouda sait que le Vice-Roi peut très bien sourire après ce discours et rester insensible à la mort du vieux père. Il peut se moquer de ce frère héroïque prêt à prendre la place du fils aimé. Mais Yehouda n’a pas hésité à parler ; son cœur l’y a poussé.

Yehouda reprend pied dans la réalité. Il assume enfin la réalité passé tout en refusant qu'elle ne continue à détruire le présent. Il prend conscience de la réalité présente en sortant du carcan mental dans lequel il était enfermé. Il fait le choix de transformer la réalité future en renversant les forces qui agissaient jusqu'alors.

La double teshouva


Yosseph assiste au don que Yehouda fait de sa personne pour sauver Binyamin. Il comprend que toutes les accusations que Yehouda porte envers lui sont autant d’aveux d’une faute qu’il a pleinement assumée. Yosseph ne retient plus ses pleurs et se dévoile à ses frères. Les paroles qu’il prononce alors éclairent ce récit :

“L’Eternel m’a envoyé devant vous pour vous assurer une survivance dans le pays et pour vous faire vivre, en vue d’un grand sauvetage.”

Ainsi, Yosseph n’a gardé aucune rancune envers ses frères ! Au contraire, il voit à travers son histoire la main de D..  C'est pourquoi Yosseph est un des rares personnages qui soit appelé dans la Tradition “le juste”. Yosseph montre que le dénouement heureux de cette histoire n’est pas que l’esclave soit devenu Vice-Roi, mais que le frère autrefois délateur recherche aujourd’hui le bien de toute sa famille. Il a décidé du sens à donner à son passé et de ses choix dans l’avenir. Quant à son attitude envers ses frères, elle leur donne l’occasion de se racheter en éprouvant leur sentiment de fraternité et en particulier celui de Yehouda .

Yehouda était l’instigateur de la vente de Joseph, il exprime aujourd’hui, grâce à Joseph, la grandeur de son amour envers les siens. L’intelligence du pardon de Joseph et l’engagement fort de Juda établissent enfin l’union et la paix entre les fils d’Israël.


Par sa ruse, Yosseph a amené ses frères à la conscience que l’histoire d’Israël ne peut pas s’écrire dans l’individualisme.

Nous devons tous nous demander : Comment remonterais-je près de mon Père, et mon frère n’est pas avec moi ? Nul n’a le droit de se suffire de sa « réussite » personnelle ; matérielle ou spirituelle. Yosseph a permis à ses frères d’effectuer une véritable teshouva. Celle qui ne s’arrête pas aux regrets, celle qui transforme l’homme au point que, dans les mêmes situations, il ne reproduise pas sa faute passée.























Miqetz : Rêve de divinité



Dans la Genèse une grande importance est accordée aux rêves. Ils déterminent des évènements décisifs de l'histoire biblique. C'est le cas en particulier des rêves de l'échelle de Ya'aqov et celui de Pharaon sur le Nil. Le premier établit l'alliance entre D. et les descendants de Ya'aqov, le second présage de l'avenir économique de l'Egypte. Ce dernier rêve constitue une étape essentielle du chemin conduisant la famille de Ya'aqov en Egypte.

Y. Leibovitz rapporte à ce sujet un midrash qui compare ces deux rêves. Ya'aqov et Pharaon se voient tous deux en présence de leur D.. En observant les attitudes de ces deux hommes face à la divinité, le midrash illustre deux conceptions opposées de la pensée religieuse. Dans le rêve de Ya'aqov, D. se trouve au dessus de lui, alors que dans son rêve Pharaon se tient au bord du fleuve. Le midrash lit d'ailleurs le verset au sens littéral :

"Et voici qu'il se tenait debout sur le fleuve."
 Le midrash affirme alors :

"Les impies se places au dessus de leur dieu alors que les justes se placent en dessous."

Pharaon et tous les égyptiens servaient certainement le Nil en tant que D. suprême. Ils étaient prêts à tout lui sacrifier et peut-être même plus encore que ne le feraient les serviteurs de D. Un E-ternel. Alors pourquoi se situeraient-ils "au dessus" de leur dieu ? Mais pour le midrash, se situer « au-dessus » de son dieu signifie être maître de son D.. Dieu n’est plus servi mais asservi aux besoins des hommes. La loi divine n’est pas posée comme absolue et contraignant les humains à maîtriser leurs désirs mais comme un moyen pour assouvir ses désirs. Ya'aqov est lui « en dessous » de son D., porteur d’un message parfois difficile à assumer mais qu’il refuse de se cacher.

dimanche 9 mars 2014

Shémini : Pour Dieu et malgré Lui

Lors de l'inauguration du Sanctuaire Nadav et Avihou, fils d'Aaron, apportent de l'encens et offrent un "feu étranger qu'il ne leur est pas ordonné". Un feu survient et les dévore. Moïse dit alors à Aharon (Lév. 10, 3):
"C'est ce qu'avait dit l'Eternel : Je serai sanctifié en ceux qui m'approchent et à la face de tout le peuple Je serai glorifié."
Quelle est leur faute et en quoi leur sanction est une "sanctification" ?

Feu étranger

L'épisode de la mort de Nadav et Avihou illustre une forme de religiosité réprimée par la Tora. Ils servent l'Eternel sans qu'il ne le leur demande. Ils considèrent comme naturel ce qui nécessite un ordre. L'intention est très élevée mais révèle une approche erronée du service divin. Comme l'affirme le prophète Samuel :
"Voici que l'obéissance vaut mieux q'un sacrifice et la docilité vaut mieux que la graisse des béliers !"
Ils veulent pourtant bien faire. Dieu ne désire-t-Il pas les coeurs ?
La conviction est évidemment essentielle dans le service divin. Mais en jugeant qu'il plaît à Dieu ce qui nous plaît à nous, les pires crimes peuvent être commis au nom de Dieu. Servir Dieu selon ses sentiments du moment revient à répondre à ses propres désirs. Cette religion utilitaire, bien que dirigée vers Dieu, sert d'autres causes. En se soumettant intensément à Dieu par des actes non ordonnés, on prétend soumettre Dieu à sa volonté.
Le même adjectif est utilisé pour désigner l'idolâtrie, "culte étranger", et le service de Nadav et Avihou, "feu étranger".

Zèle inutile

Le Orah Hayim fait remarquer au début de la sidrat aharé mot que la Tora rappelle la mort de Nadav et Avihou en utilisant l’expression :
« Lors de leur approche devant Dieu, et ils sont morts. »
Il n’est fait mention que de leur approche et non de leur acte.
« Que nul ne s’imagine que leur intention s’est réalisée et qu’en vérité ils ont pénétré à l’intérieur du Sanctuaire. Ils ont été repoussés et ils sont morts. »
Le Orah Hayim nous enseigne qu’ainsi la Tora tient à écarter ceux qui voudraient malgré tout s’approcher du service divin tout en sachant qu’ils en mourraient. Certains désirent en effet servir l’E-ternel « de toute leur âme », comme il nous le demande, mais pas quand Il nous le demande. ils croient atteindre ainsi, par la combustion extatique de leur âme, atteindre un degré très élevé de spiritualité. La Tora nous apprend qu’il n’en est rien. Lorsque les fils d’Aharon se sont approchés, ils sont morts. Ils n’ont pas obtenu le degré de service divin qu’ils recherchaient.

Sanctification du nom de Dieu

La faute des fils d’Aharon n'est pas moins grave du fait qu'il pensent servir Dieu. Au contraire, ils sont d'autant plus coupables de L'associer à leur volonté. Celui qui jure au nom de Dieu pour une parole mensongère, Le profane. Il utilise la sainteté pour son usage personnel. De même, les enfants d’Aharon, mais sur un tout autre plan, pensent pouvoir utiliser la sainteté, en user comme bon leur semble mais avec les meilleures intentions. Cette erreur constitue aussi une "profanation" du nom de Dieu. Son rétablissement est une "sanctification".
Il paraît évident que, dans leur cas, c'est une réelle volonté de servir Dieu qui les consume. C'est ce qu'enseigne Moïse à Aharon :
"C'est ce qu'avait dit l'Eternel : Je serai sanctifié en ceux qui m'approchent et à la face de tout le peuple Je serai glorifié."
L'Eternel n'est pas plus indulgent envers ceux qui agissent en Son Nom. "A la face de tout le peuple", Il est "glorifié" en étant plus rigoureux envers "ceux qui l'approchent".
L’accomplissement de la Tora, l’écoute attentive et scrupuleuse de la parole divine, n’apportent aucun privilège aux yeux de l’E-ternel. Il n’est pas moins rigoureux envers les fautes des justes. Il agit à la hauteur des exigences qu’il attend d’eux et de l’image qu’ils donnent en tant que représentant de la Tora. Ce principe s’applique ainsi à tout israêl par rapport aux nations : "C'est ce qu'avait dit l'Eternel : Je serai sanctifié en ceux qui m'approchent et à la face de tout le peuple Je serai glorifié."
« Je n’ai connu que vous parmi toutes les familles de la terre. C’est pourquoi je vous sanctionnerai pour toutes vos fautes. »
Amos 3, 2

Lois alimentaires

Shemini

Au chapitre 11 du Lévitique sont décrits les animaux autorisés et ceux interdits à la consommation. Seuls les mammifères terrestres ruminant et possédant des sabots fendus sont permis. Les animaux marins doivent être pourvus d’écailles et de nageoires. La Tora énumère également les volatiles interdits et elle exclu presque tous les insectes, êtres rampants ou fruits de mer.
Nombreuses sont les explications qui ont été apportées. Les uns évoquent des raisons d’ordre sanitaire. Les autres tentent une approche symbolique et s’interrogent sur l’enseignement moral ou historique qui ressort des caractéristiques décrites par la Tora. D’autres encore essaient de comprendre le sens de ces préceptes en analysant les aspects psychologiques ou sociaux dans l’acte de manger. Certains enfin trouvent des raisons mystiques aux lois alimentaires de la Tora et décrivent même les conséquences pour le corps ou pour l’âme de l’alimentation interdite.
D’une manière plus générale, en observant toutes les lois de la Tora, on s’aperçoit que les restrictions alimentaires entrent dans le cadre d’une législation qui embrasse tous les domaines de la vie humaine. Pour le juif pratiquant, la vie agricole, le monde du travail, l’habillement ou l’alimentation doivent répondre à des critères déterminés par Dieu dans la Tora. Il ne s’agit pas de s’imposer des restrictions par amour de l’ascétisme ou des privations. Le judaïsme prône au contraire un mode de vie équilibré. En plaçant certains interdits, la Tora nous enseigne qu’il n’est pas nécessaire de tout posséder, de tout goûter et de tout essayer pour vivre heureux. Réussir à trouver une satisfaction et un réel plaisir en s’imposant certaines limites c’est aussi prendre conscience que le monde ne nous appartient pas totalement. Il ne nous est pas permis de nous y conduire comme bon nous semble dans le seul but de satisfaire nos supposés besoins.

Vayiqra : appeler à s'approcher


L'appel divin

Le Livre de Shémot se termine par l'inauguration du Sanctuaire par Moshé et les enfants d'Israël, un an après leur sortie d'Egypte. La nuée de D. emplit le mishkan et Moshé n’entre pas en ce Sanctuaire qu’il vient d’ériger. Le livre de Vayiqra, livre central de la Torah, commence alors par un appel de l’E-ternel à Moshé depuis la « Tente de Rendez-vous » :
"L'E-ternel appela Moshé et, de la Tente du Rendez-vous, il lui parla en disant : (...)"
C'est la troisième et dernière fois que la Tora précise que D. appelle Moshé avant de lui parler. Ces trois appels invitent Moshé à trois formes nouvelles de révélation.
  1. au buisson ardent, la première fois que D. s'adresse à Moshé (Ex. 3, 4),
  2. la première fois qu'Il lui parle sur le Mont Sinaï (19, 3),
  3. la première fois qu'Il lui parle depuis la Tente du rendez-vous dans le Sanctuaire.
Les trois appels introduisent trois étapes de l'histoire de Moshé et d'Israël :
  1. la délivrance physique de l'esclavage égyptien,
  2. l'alliance du Sinaï contractée lors de la promulgation du Décalogue,
  3. l'expression concrète du service divin dans le Sanctuaire.

Depuis le premier appel de D. devant le buisson ardent,  malgré l’histoire extraordinaire qu'il a vécue, Moshé a gardé la même attitude d'attente d'être appelé.
A présent, Moshé et le peuple d’Israël se trouvent au pied du Mont Sinaï avec un Sanctuaire érigé pour la Gloire de D.. La date anniversaire du premier des mois ravive certainement les sentiments éprouvés durant les derniers jours de l’esclavage égyptien. Tout n’était encore qu’à l’état de promesses de l’E-ternel et confiance en le peuple d’Israël. Depuis, bon gré mal gré, en un an, le peuple d’anciens esclaves est sorti d’Egypte, a traversé la mer, s’est engagé dans le désert, a reçu la Tora et a construit le Sanctuaire, cette « Tente de Rendez-vous » avec son D.. La timidité première de Moshé aurait pu disparaître pour laisser place à une légère assurance, en toute modestie et sans audace bien sûr. Moshé aurait pu considérer que l'histoire à venir est la suite attendue des actions passées et qu'il était donc lui-même attendu. Or, il n'avance toujours pas, comme au premier jour.

Le nécessaire appel divin exprime l'idée qu'aucun humain ne peut imposé une relation au divin. Moïse ne s'approche pas du buisson ardent, du sommet du Mont Sinaï ou de la Tente de Rendez-vous sans y être invité. Il ne pénètre pas à l'intérieur du Sanctuaire comme les prêtres païens entrent dans leurs temples pour invoqués les divinités. Il attend que l'Eternel le convoque.

Religion d'inhibition et d'autonomie

L'appel divin résout une tension entre deux attitudes religieuses qui s’opposent : autonomie et inhibition.

La faute du veau d’or est un exemple de religion d’autonomie. Animé d'une volonté de célébrer le D. qui les a fait sortir d'Egypte, avec le désir d'établir une relation avec le divin, le peuple se fabrique un dieu, s’invente une religion sur mesure.
A l'inverse, Moshé attend l’appel de D.; Il atteste ainsi que l’humain n’impose pas sa relation au divin. Le divin n'est ainsi assujetti à aucun acte, ni aucune prière, comme Il ne peut absolument pas être appréhendé par l'esprit humain. C'est Lui qui initie Sa relation à l'humain. La Tora considère que le service divin ne doit pas s'exprimer simplement par instinct. Si l’E-ternel n’appelle pas, comment prétendre connaître la forme agréée de service divin ?
Mais, suite à cette réflexion, toute volonté de Le servir perd son sens. Conscients des limites de la condition humaine devant l’idéal absolu divin, comment réagir ?
Cette religion d’inhibition, où la foi en D. s’exprime dans la crainte, est également illustrée par le même peuple d'Israël, au pied du Mont Sinaï avant la faute du veau d'or. Devant la puissante promulgation des dix paroles, le peuple est saisi de crainte et recule
Il est intéressant de remarquer, dans l'histoire d'Israël au pied du Mont Sinaï, qu'à trop craindre l'absolu divin, on finit par se fabriquer un dieu conçu comme relatif, plus proche et saisissable. Religion d'inhibition et religion d'autonomie seraient les deux facettes d'une même pensée.

"Hinéni !" "Me voici !"

 L'épisode du buisson ardent nous décrit la forme que prend l'appel de D. à Moïse avant de lui parler :
"Il dit : Moïse, Moïse !, et celui-ci dit : Me voici !"

Une fois l’appel divin entendu, Moshé n'avance pas à petit pas en se cachant la face. Il répond « me voici ». L'humain existe en tant que tel. Ce n'est qu'ainsi qu'il peut se présenter devant D., avec son humanité, conscient à la fois des imperfections de son être et de sa prodigieuse capacité de création qu'il possède. Tel est le sens de la réponse "me voici" : Entièrement disposé à me retrouver face à Toi. Sans la prétention idolâtre de Te soumettre à ma volonté. Sans le besoin de me cacher.
Le même dialogue s'instaure avec Avraham lors de l'épreuve du sacrifice de Yitshaq (Gen. 22, 1 & 11).
Cet épisode marque l'aboutissement de la vie d'Avraham. Il forme par là-même le prélude à l'histoire d'un peuple après celle d'un individu. Quatre moments de la révélation de D. dans l'histoire humaine sont ainsi introduits par un appel divin suivi de la réponse humaine "me voici".
Cette réponse s'oppose à celle faite par Adam lorsque lui aussi est appelé par D. après la faute :
"L'E-ternel D. appela l'homme et lui dit ; Où es-tu ? Il dit : J'ai entendu ta voix dans le jardin et j'ai eu peur, parce que je suis nu et je me suis caché."

Les sacrifices

Les lois qui suivent le dernier appel divin sont celles des sacrifices. Le mot hébraïque généralement utilisé est "qorban" construit sur la racine QRV qui exprime l'idée du rapprochement. Offrir un sacrifice reviendrait donc à s'approcher du divin. On retrouve donc, dans le cadre des sacrifices, la même tension entre autonomie et inhibition. Ils constituent souvent l’expression d’un don spontané, un désir de servir D.. Dans la Torah, cette volonté prend place à l’intérieur du service divin mais doit également répondre à un ordre. Les lois des sacrifices donnent une forme, définie par D., au désir humain de le servir, de s'approcher de Lui.
Nadav et Avihou, les enfants d’Aharon, illustreront tragiquement un service de D. avec un « feu étranger que l’E-ternel n’a pas ordonné ».

D’une manière plus générale, toutes les mitsvot de la Tora doivent être accomplies comme des ordres qui nous dépassent, qui s’imposent à nous en tant que lois divines. Mais dans le même temps, nous devons être capables d’exprimer dans notre service divin notre volonté. Mieux encore, à travers les mitsvot et l’appel divin qu’elles transmettent, nous devons être capables de découvrir et d’affirmer notre identité. « Hinéni », « me voici » !,

Le culte exprimé par les sacrifices semble aujourd’hui caduque. Comment supposer que les sacrifices plaisent à D. ? Egorger un animal, asperger de son sang sur l’autel, le dépecer et le faire brûler sur l’autel, tel serait le service offrant “une odeur délectable au Seigneur” ?!

Nombreux sont ceux qui considèrent que cet ensemble de loi n’était nécessaire que pour les hébreux des temps antiques. Accoutumés depuis peu à la foi en un D. unique et désirant le bien de l’homme et entourés de peuples païens offrant parfois leurs propres enfants aux dieux, le peuple d’Israël ne pouvait concevoir autrement le service divin. Pour la masse de ce peuple la question était inverse : Comment plaire à D. sans verser la moindre goutte de sang, sans sacrifier quelque chose ? Les prophètes auraient d’ailleurs tenter de faire comprendre au peuple son erreur.
A quoi bon pour moi l’encens de Saba et la plante aromatique d’une terre lointaine ? Vos holocaustes ne sont pas pour me plaire et vos sacrifices ne me sont pas agréables.
Cette opposition de Jérémie (6, 20) aux sacrifices se retrouve effectivement dans d’autres chapitres et chez d’autres prophètes (Jr. 7, 3-11 ; 14, 12 et Os. 6, 6 par ex.). Mais ne nous trompons pas, ces quelques versets choisis des prophètes ne rejettent pas le culte sacrificiel en tant que tel. Ce que D. réprouve c’est le sacrifice offert pour “se donner bonne conscience”. La critique des prophètes va à l’encontre de ceux qui en pratiquant un culte, de quelque nature que ce soit, pense Lui faire plaisir afin qu’il ferme les yeux sur leurs travers. Les prophètes s’opposent à ceux qui croient simplement s’acquitter de leurs devoirs envers D. par un acte accompli ou une formule prononcée. Quant au service du sanctuaire, tel qu’il est décrit dans le Lévitique, les mêmes prophètes regrettaient qu’il soit ainsi rabaissé et annonçaient son rétablissement pour les temps messianiques. Ils annoncent au contraire son rétablissement pour des temps messianiques (Mal. 3, 4) :
"Et elle plaira à l'Eternel l'oblation de Juda et de Jérusalem, comme aux jours d'antan et aux années d'autrefois."
L'opinion des prophète est donc opposée à celle qu'on leur attribue. Le service sacrificiel se doit de correspondre à l'état idéal d'une société respectant le droit et la justice, empreinte d'un souci de vérité. Le mystère des sacrifice reste entier.

dimanche 2 mars 2014

Dès qu'entre Adar on multiplie la joie. Maharal

Le cours audio suivant fait suite à l'article : Dès qu'entre le mois de adar...

Première partie du cours :


Deuxième partie du cours :




Le cours développe les références suivantes :

תלמוד בבלי
" אמר רב יהודה בריה דרב שמואל בר שילת משמיה דרב: כשם שמשנכנס אב ממעטין בשמחה - כך משנכנס אדר מרבין בשמחה." (תענית כט ע"א).


  רש"י 
"משנכנס אדר - ימי נִסּים היו לישראל: פורים ופסח".


המהר"ל
"'והחודש אשר נהפך להם' (אסתר ט', כב) וגו' מה שתולה זה בחודש, כי המן היה אומר כי אדר שהוא סוף החדשים מורה על שישראל יש סוף להם, ונהפך חודש זה לשמחה, כי אדרבא בו קיום ישראל מצד הש"י אשר הוא מקיים את ישראל, כי הוא יתברך הצורה האחרונה לישראל כמו שהתבאר למעלה" ('אור חדש' עמרי"ג).

"ומה שנפל הגורל על חודש אדר, אל תאמר שלא היה בגורל הזה ממש כאשר לא היה מקוים מחשבת המן, כי זה אינו. וכך הוא באמת, כי בודאי יש לישראל סוף ותכלית מצד עצמם, רק מצד הש"י יש להם קיום, אבל מצד עצמם אין להם קיום. ודבר זה שאין לישראל הקיום רק מצד שהש"י, מורה זה כי שם 'אל' בסוף השם של ישראל. כי בסוף שלהם שיש להם מצד עצמם, נותן הש"י להם קיום. אבל מצד עצמם של ישראל יש להם סוף. ולכך נפל הגורל בחודש י"ב שהוא סוף החדשים. כי יש לישראל סוף מצד עצמם. והמן הרשע כאשר נפל הגורל בחודש י"ב שמח, כי סבור היה כי מאחר שנפל בחודש י"ב מורה זה על הסוף. ולא ידע כי יש להם סוף מצד עצמם רק כי קיום שלהם הוא מצד הש"י. וכל האומות קיומם שלהם מצד עצמם יותר מן ישראל, ואין להם הקיום מצד הש"י. ולפיכך סוף שלהם שיהיו בטלים רק ישראל. ולפיכך כתיב: 'הפיל פור... מיום ליום ומחדש לחדש שנים עשר הוא חדש אדר' כיון שהפיל הגורל עד י"ב חודש ולא נפל הגורל על חדשים הראשונים רק נפל הגורל בחודש אדר. ומ"מ קשיא למה לא כתב בפירוש כי נפל הגורל בחודש י"ב הוא חודש אדר ולא היה לו לומר כי הפיל הגורל מחודש אל חודש רק היה לו לומר כי נפל הגורל בחודש אדר? ויראה כיון שלא היה הגורל אמת שהרי לא היה כלום בגורל לפי מחשבת המן, ואדרבא הגורל נהפך על המן, לכך לא כתיב בפירוש שנפל הגורל הוכחה בפירוש לגמרי, רק שהיה מורה הגורל לכאן ולכאן, ואין דבר בפירוש. וכן דרשו בפירוש במדרש (אסתר רבה ז, יא) 'הפיל פור הוא הגורל' עליו נפל הגורל. יראה שדרשו כך מדכתיב (שם) 'הפיל פור הוא הגורל' ולא כתיב שנפל הגורל בחודש י"ב אלא בחודש י"ב אלא שבא לומר כי הוא הפיל הגורל אבל הנפילה עצמה עליו היה ומ"מ צריך לומר כמו שאמרנו כי לכך היה הגורל בחודש אדר שהוא סוף לחדשים כי זה על סוף ישראל ולא ידע המן כי לכך יש לישראל סוף כי מצד הסוף הוא קיום ישראל מצד הש"י ואל"כ לא היה בגורל ממש כלל רק בודאי יש בו ממש ולכך הסוף שלהם בחודש אדר וחודש אדר מחובר לחודש ניסן כי כאשר הסוף שלהם בחודש אדר שהוא מחובר לחודש ניסן ובזה נראה שאין כאן סוף גמור רק שהוא שב אל הש"י " ('אור חדש' עמ' קלג-קלד).

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