Que représente la beauté de Rahel ? Que nous enseigne son personnage ?
Le rêve de Ya'aqov
Notre ancêtre Ya'aqov s'enfuit parce qu'il vient de prendre la bénédiction que son père avait réservé à son frère. Cette bénédiction est matérielle, la nature doit apporter la bénédiction à Ya'aqov. Ya'aqov quitte également son pays pour aller chez son oncle Lavan afin de trouver une femme avec qui se marier et fonder la famille qui sera à l'origine du peuple d'Israël. En chemin il fait un rêve dans lequel il voit une échelle posée à terre et dont le sommet atteint le Ciel. Tel est le défi qu'il doit être capable de relever : faire naître un peuple capable de s'élever jusqu'au Ciel en restant posé sur la Terre.
Lavan a deux filles : Léa, la première, et Rahel, la deuxième. Rahel est bergère. Généralement, c’est un travail d’homme. Sa vie est donc différente de celle des autres jeunes filles. Elle agit dans la nature, en l’apprivoisant et la dirigeant. Un jour, elle amène ses moutons au puits pour les abreuver. Elle rencontre Ya’aqov, son cousin qu’elle n’avait jamais vu. En l’apercevant, Ya’aqov déplace seul la pierre qui couvre le puits et abreuve le troupeau de Rahel. Ya’aqov embrasse ensuite Rahel et pleure.
"La beauté est néant"
Rahel le conduit ensuite chez son père et Ya’aqov devient berger. Lavan lui demande quel sera son salaire. La Tora précise alors que Rahel est belle :
"ורחל היתה יפת תואר ויפת מראה" (בראשית כט, יז)
« Rahel était de bel aspect et de belle apparence. »
La précision de la Tora porte sur l'aspect et l'apparence, il s'agit donc d'une beauté physique qu'on ne peut interpréter seulement comme une beauté intérieure.On peut s'étonner de cette remarque de la Tora. Un verset bien connu des Proverbes, l'avant-dernier, est récité chaque vendredi soir dans le paragraphe louant la eshet hayil, la femme vertueuse :
"שקר החן והבל היופי,אשה יראת ה' היא תתהלל" (משלי לא, ל)
« La grâce est mensonge et la beauté est néant, seule la femme craintive de Hashem sera louée. »
Sur ce verset le Gaon de Vilna1 pose une question. Si la beauté et la grâce d'une femme ne méritent pas d'être louées, si ces aspects ne sont que mensonge et néant, alors pourquoi la tora insiste-t-elle sur la beauté de nos mères Sara, Rivqa et Rahel ?
Le Gaon répond en faisant remarquer que le verset n'associe pas la beauté au mal mais au mensonge. Cela signifie que la grâce et la beauté ne sont ni bonnes, ni mauvaises. Elles ne sont pas des valeurs en elles-mêmes. Celui qui recherche uniquement ces aspects chez une femme, ne poursuit que le mensonge et le néant. Il croit trouver des biens qui lui enrichiront son existence alors qu'en fait ce ne sont que des apparences, vides de sens. Par contre la grâce et la beauté peuvent être un moyen d'agir ou de s'exprimer, en bien comme en mal. La beauté et la grâce méritent donc d'être louées si elles sont les atouts d'une femme pleine de crainte de D..
La tsni'out
Dans cet esprit, la tsni'out, discrétion, d'une femme est révélatrice de la manière dont elle conçoit sa beauté. La beauté, est-elle une valeur en soi qu'il suffit d'exposer pour plaire ou constitue-t-elle un moyen de transmettre un véritable sens et des valeurs porteuses de vie, d'avenir et de sainteté ?
Cette qualité essentielle qu'est la tsni'out ne se réduit donc pas seulement à l'apparence vestimentaire. Le manque de discrétion, de tsni'out, révèle souvent la seule apparence, la fausseté, d'un discours, d'une conduite, d'une action et même de la façon d'accomplir des mitsvot, des commandements divins. Un acte accompli parce qu'il est vrai, parce qu'il est ordonné par hashem, n'a pas besoin de publicité, d'être vu et entendu par le plus grand nombre, à moins de vouloir enseigner, éduquer. On ne sert pas Hashem pour que d'autres le voient et nous estiment, autrement c'est nous-même que nous servons en utilisant les apparences de la Tora. De même, une femme ou un homme qui attirent le regard d'autrui par leur seule apparence, ne font pas l'effort de créer et de partager une relation plus intérieure, personnelle, vraie, et durable.
On peut alors se demander ce que la beauté peut apporter à la tora, ce quelle représente en bien. Pour répondre à cette question, prenons l'exemple de notre mère Rahel.
La beauté de la nature La beauté de Rahel exprime l’idée d’une perfection naturelle. Ya’aqov est prêt à travailler sept ans pour se marier avec elle. Le chiffre sept représente un cycle naturel complet. Ainsi, pendant sept ans, Ya’acov se soumet à Lavan. Pour Ya'aqov, épouser Rahel, plutôt que Léa ou toute autre femme, revient à faire le choix décisif de la direction que prendra le futur peuple d'Israël. Il sait parfaitement que bien qu'il soit le fils d'Itshaq et petit-fils de Avraham, bien que Hashem ait établi son alliance avec lui et avec ses pères, il ne peut déterminer seul le chemin que prendront ses enfants et leurs descendants. C'est de sa future épouse que dépendra l'avenir du peuple promis par Hashem. Rahel, par sa beauté, représente une histoire d'Israël qui s'écrirait en harmonie avec la nature, sans nécessité de s'y opposer, de la contraindre par des miracles. En se mariant avec elle, ce sont ses principes qu'il veut transmettre
Mais finalement, Ya'aqov est trompé par Lavan et il épouse d'abord Léa. Rahel ne réagira jamais à ce sujet. Elle respecte l’autorité de son père, accepte le droit naturel de l’aînée et désire surtout le bonheur de sa sœur. Toutefois, Ya’aqov se marie aussi avec Rahel et travaille encore sept ans.
"En dessous de D." Durant ce temps sa famille se constitue. Une fois de plus Rahel voit sa sœur privilégiée. Elle a quatre enfants tandis que Rahel est stérile. Son désir très fort d’avoir des enfants exprime en plus de son attachement à Ya’aqov une ferme volonté d’une vie après elle, d’une continuation et d’une transmission des principes auxquelles elle croit. Amèrement, Rahel s’adresse à Ya’aqov :
וַתֵּרֶא רָחֵל כִּי לא יָלְדָה לְיַעֲקב וַתְּקַנֵּא רָחֵל בַּאֲחתָהּ וַתּאמֶר אֶל יַעֲקב הָבָה לִּי בָנִים וְאִם אַיִן מֵתָה אָנכִי:
וַיִּחַר אַף יַעֲקב בְּרָחֵל וַיּאמֶר הֲתַחַת אֱ-להִים אָנכִי אֲשֶׁר מָנַע מִמֵּךְ פְּרִי בָטֶן:
Rahel vit qu’elle n’avait pas enfanté à Ya’aqov. Rahel fut jalouse de sa sœur et elle dit à Ya’aqov : Donne-moi des enfants, sinon je meure ! »
« La colère de Ya’aqov s’enflamma et il dit : Suis-je à la place de D. qui t’a refusé la fécondité ? »
.".Effectivement, Rahel s’imagine Ya’aqov à la place de D., littéralement "en-dessous de D
Mais n’a-t-elle pas raison ? Dans le fameux rêve de Ya’aqov, D. se dresse au-dessus de lui, alors que des anges montent et descendent sur l’échelle. Pour Rahel, l’être humain doit trouver, par ses propres moyens, une solution à ses problèmes. Elle ne rejette évidemment pas D., elle considère qu’Il a doté l’humanité de l’intelligence et de la force pour vivre en harmonie avec la nature. Rahel propose alors que sa servante soit « mère porteuse ». Plus tard, elle achète les doudaïm du fils aîné de Léa. Ces fleurs, pense-t-elle, favoriseront sa fécondité mais rien n’y fait. Finalement, elle a un enfant. Le texte précise que l’E-ternel s’est souvenu de Rahel. Les moyens naturels n’ont pas servi. Elle nomme son fils Yosseph en disant : « Yosseph hashem li ben aher » « Que l’E-ternel m’ajoute un autre fils ». Elle a compris qu’elle ne doit se tourner que vers l’E-ternel. Tel était le sens de la réponse de Ya’aqov : « Suis-je à la place de D. qui t’a refusé la fécondité ? » L’être humain doit effectivement s’efforcer d’agir de tous ses moyens pour faire face aux difficultés qu’il rencontre.
Les limites de la nature
Mais le peuple d’Israël, auquel Rahel désire tant participer, doit parfois être capable de dépasser la nature.
Peu de temps après, Ya’aqov, sur l’ordre d’hashem, décide de retourner dans son pays. Rahel vole alors les teraphim de son père, des sortes d’amulettes, la science de l'époque. Ya’aqov prend ce qui est à lui et laisse Lavan à son sort. Mais Rahel ne désire pas seulement aller de l’avant dans son histoire. Il lui importe que son père se libère aussi de l’idolâtrie. Quand Lavan rattrape Ya’aqov, il l’accuse de voler ses dieux. Ya’aqov formule le vœu que la personne qui a pris les teraphim meure. Suite à cela, Rahel meure en donnant naissance à son deuxième fils, Binyamin, le frère qu’elle désirait pour son aîné. Ya’aqov l’enterre près de Bet Lehem. Le texte précise que Rahel meure « en chemin ». Son histoire n’est pas terminée. La mort est l’action ultime de la nature dont Rahel a accepter les limites, tout en exploitant au mieux ses capacités. Sa rencontre avec Ya’aqov lui a permis d’apporter ses qualités de courage, de direction, d’autonomie, de patience et de fraternité à l’intérieur du peuple d’Israël. Ya’aqov lui a appris à dépasser ses limites. Pour Israël, nulle pierre n’est trop lourde quand le troupeau attend de boire. La stérilité et même la mort interrompent seulement le chemin de Rahel. Comme nous l’affirme le prophète Jérémie lors de la destruction du Temple de Jerusalem :
« Ainsi a dit l’E-ternel :
Une voix est entendue dans la hauteur,
un gémissement,
des pleurs d’amertume.
Rahel pleurant sur ses fils,
elle refuse de se consoler sur ses fils,
car il n’en est plus un seul.
Ainsi a dit l’E-ternel :
Retiens les pleurs de ta voix
et les larmes de tes yeux,
car il y a une compensation pour ton œuvre
– parole de l’E-ternel.
Ils reviendront du pays ennemi.
Il y a donc un espoir à ton avenir
– parole de l’E-ternel.
Les fils reviendront sur leur territoire. »
L’harmonie avec la beauté de la nature, la discrétion, la générosité, la patience et la fraternité sont des fondements éternels posés par Rahel à l’édifice de notre peuple. Mais Rahel, à elle-seule, ne peut permettre à Israël de surmonter tous les défis à venir du peuple d'Israël. Peut-être est-ce la raison pour laquelle, lors de leur première rencontre, Ya'aqov embrasse Rahel et pleure. Il exprime ainsi un dilemme. Il est séduit par la beauté, l’idéal de Rahel, la domination positive de la nature, mais il connait ses limites. Toute action naturelle a une fin, toute construction humaine finit par être détruite. Lui, rêve d’une échelle bien posée à terre mais qui atteindrait le Ciel. Le peuple auquel il veut donner naissance doit vivre naturellement sur terre mais également tendre éternellement vers le Ciel.
Rahel et Léa
Les deux mariages de Ya'aqov dotent ainsi Israël de deux dimensions : l'une naturelle, l'autre contre-nature. La première est représentée par Yosseph, fils de Rahel, beau, lui aussi, et capable de dominer intelligemment la nature pour sauver l'Egypte et la famille d'Israël de la famine. La deuxième dimension est représentée par Yéhouda, fils de Léa. Ainsi, selon le midrash, c'est un descendant de Yéhouda qui est entré dans la Mer Rouge jusqu'à ce qu'elle s'ouvre. Par son geste il a forcé la nature a accueillir le peuple d'Israël, il défigure la nature, porte atteinte à sa beauté.
Rahel et Léa
Les deux mariages de Ya'aqov dotent ainsi Israël de deux dimensions : l'une naturelle, l'autre contre-nature. La première est représentée par Yosseph, fils de Rahel, beau, lui aussi, et capable de dominer intelligemment la nature pour sauver l'Egypte et la famille d'Israël de la famine. La deuxième dimension est représentée par Yéhouda, fils de Léa. Ainsi, selon le midrash, c'est un descendant de Yéhouda qui est entré dans la Mer Rouge jusqu'à ce qu'elle s'ouvre. Par son geste il a forcé la nature a accueillir le peuple d'Israël, il défigure la nature, porte atteinte à sa beauté.
Le Roi David rassemblera en lui ces deux dimensions. Il est descendant de Yéhouda mais est né à Bet Lehem, lieu où a été enterrée Rahel. D'ailleurs, le texte précise qu'il est lui aussi, comme Rahel, de bel aspect. Son descendant, le mashiah que nous attendons, les réalisera complètement. La beauté et la vérité ne feront plus qu'un. On voit ainsi comment les mères d'Israël sont à l'origine de la transmission des principes essentiels de l'histoire d'Israël.
1Dans son commentaire Qol Elyahou sur Béreshit, lettre lamed
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