Ce
ne peut être un hasard que des héros bibliques portent les noms de
divinités païennes. Esther et Mordékhaï renvoient aux principaux
dieux perses Ishtar et Mardouk. Ce rapprochement peut paraître
gênant mais, comme nous allons le voir, cela suit une logique
spécifique au Rouleau d'Esther.
Intéressons-nous
uniquement au pseudonyme Esther-Ishtar qui permet de dissimuler la
judéité de la juive Hadassa. Le jeu de mot est très subtil. En
perse, il s'agit du nom de la plus importante déesse. En hébreu, il
signifie précisément « caché ». Le masque d'Esther est
donc entier. L'orpheline juive se cache sous les traits d'une reine
perse du nom d'une déesse perse.
Ishtar
est la déesse féminine de la beauté et de la guerre. Elle
correspond à « l'étoile du matin ». Cachée durant
toute la nuit, elle n'est visible qu'à l'approche du matin, à l'Est. Il
s'agit de la planète Vénus, le corps céleste le plus brillant
après le soleil et la lune, d'où son nom hébraïque Nogah qui signifie "lumière éclatante" (vient ensuite Jupiter, rattaché à
Mardouk, appelé Tsedeq en hébreu, "Justice"). Quand cette "étoile" paraît à l'aube, les troupeaux quittent
l'étable, c'est pourquoi elle est également appelée « l'étoile
du berger ». En hébreu cette étoile est appelée ayelet
hashahar que l'on peut traduire autant par « la gazelle du
matin » que « la puissance du matin ».
Les mots "astre" en français ou "star" en anglais trouvent leur origine dans le mot Esther-Ishtar. Dans la semaine, le jour de vendredi lui est rattaché à Vénus, dernier jour avant le shabbat.
Les mots "astre" en français ou "star" en anglais trouvent leur origine dans le mot Esther-Ishtar. Dans la semaine, le jour de vendredi lui est rattaché à Vénus, dernier jour avant le shabbat.
Les
liens entre la déesse Ishtar et la Reine Esther sont évidents. Très belle femme mais également
guerrière, c'est elle qui fait pendre Haman et ses fils et qui
déclenche la guerre contre les ennemis des juifs. Comme l'étoile du
matin, Esther ne révèle son identité qu'à la fin de l'histoire.
Le sauvetage ne se produit qu'au dernier moment et en fin d'année,
le « douzième mois », à la fin de l'hiver. L'histoire
se produit vers la fin de l'exil de Babylone, au moment où le peuple
d'Israël commence à retourner sur sa Terre pour y reconstruire le
Temple.
Conjonction entre la Lune, Vénus et Jupiter, le 1er décembre 2008, he.wikipedia.org |
Le
roi David a écrit le psaume 22 en relation avec cette étoile du
matin. Nos sages nous enseignent que ce psaume renvoie à la reine
Esther. Ils étaient donc conscients du rapprochement entre Esther et
Ishtar.
Dans
ce psaume l'auteur demande à D. pourquoi Il l'a abandonné, pourquoi Il se cache. C'est ce sentiment que les enfants d'Israël ressentent
durant l'exil de Babylone. Cette nuit de l'exil devient de plus en
plus obscure. Même les étoiles, les prophètes, qui ont illuminé
cette nuit ont disparu. L'histoire de ce peuple semble se finir dans
des ténèbres angoissants. Après 70 ans d'exil, le décret
d'extermination de Haman vient mettre fin tragiquement à la nuit du
peuple d'Israël. C'est alors, comme un astre qui n'apparaît qu'au
matin, que Esther se révèle. La nuit n'est pourtant pas finie, la
délivrance n'est pas totale. Israël demeure en exil mais survit, se
reconstruit et peut enfin espérer assister à un nouveau matin.
La
délivrance est inattendue. Certaines années d'ailleurs, durant le
12e mois il ne se passe toujours rien. Un 13e mois vient alors et
enfin la joie de Pourim peut ressortir.
Il
est connu que le Rouleau d'Esther est le seul livre biblique où le
nom de D. n'apparaît pas. Il faut donc ajouter qu'à l'inverse, les
noms de divinités païennes apparaissent au premier plan au travers
des personnages juifs principaux. Dans un monde qui divinisait le
hasard, les astres, les rois, les reines et les grands personnages,
la méguila fait l'inverse, se joue du hasard et humanise les dieux
en se gardant bien d'y mêler le nom du seul vrai D.. Subtiliser les
dieux de l'exil, n'est-ce pas ce que Rahel, avait déjà fait ? Le
danger est grand. Rahel est morte à cause de cela en donnant
naissance à Binyamin, l'ancêtre de Esther et Mordékhaï. Esther
aussi y risque sa vie, mais cette fois la délivrance se produit.
Le
récit est construit sur un trouble entre le mal et le bien et sur un
renversement des identités. Qu'une héroïne biblique porte le nom
d'une déesse, est-ce vraiment plus surprenant, plus choquant, que
d'être la femme, même contre son gré, d'Ahashvérosh ? On sait
comment Shimon et Lévi avaient réagi pour venger l'honneur de leur
sœur, prise par un prince.
Le
message étrange et risqué de la méguila est que le mal peut
se renverser en bien. Ce renversement doit se réaliser de la manière
la plus complète. Dans la Torah, les fautes les plus grandes sont
celles du meurtre, des unions interdites et de l'idolâtrie. Dans la
méguila, elles participent à l'avènement du Bien. Haman et son
cruel décret d'extermination sont à l'origine de la réussite des
juifs et de leur fête joyeuse. Le harem et son immoralité est le
lieu abjecte d'où Esther sauve son peuple. Le hasard et l'absence
apparente de D. ont servi à révéler Sa présence. Les absurdes
croyances païennes d'Ishtar et de Mardouk servent de trame à
l'histoire sainte d'Esther et Mordékhaï.
Nous
comprenons ainsi le sens d'un midrash concernant la biche :
« La
gazelle est un animal qui ne parvient pas naturellement à mettre bas,
car ses membres sont serrés. D. fait intervenir un serpent qui la
mord. Ses membres se relâchent alors et elle peut mettre bas. »
Bava Batra 16 b
Il
serait étonnant que ce midrash ne traite que de zoologie. La gazelle, renvoie peut-être à la «gazelle du
matin », l'étoile du berger, la lumineuse planète Vénus, la
belle et guerrière déesse Ishtar, la mystérieuse reine Esther.
Ce midrash nous enseigne certainement que, lorsque la délivrance est extrêmement difficile, le serpent, animal représentant le mal, participe lui aussi à faire naître le Bien.
Ce midrash nous enseigne certainement que, lorsque la délivrance est extrêmement difficile, le serpent, animal représentant le mal, participe lui aussi à faire naître le Bien.
Python enlaçant une gazelle - Daumier - Musée d'Orsay |
Une vidéo scientifique sur Vénus :
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