Que nous apprend l'épisode de Yitshaq chez les philistins ?
Le bref épisode d'Isaac chez les philistins constitue le seul récit de la Tora où ce patriarche prend la première place. Isaac entend la parole divine dans cet unique cadre. Il y reçoit la bénédiction donnée à son père Abraham, la même qu'il transmet à son fils Jacob. C'est avec les philistins qu'Isaac joue pleinement son rôle de deuxième patriarche d'Israël. A nous de déceler dans ce récit la spécificité de sa personnalité.
Isaac chez les philistins
En raison de la famine qui sévit en Terre de Canaan, Isaac se rend dans le pays des philistins afin de rejoindre la Terre d'Égypte. C'est alors que l'Eternel s'adresse à lui pour la première fois, il lui demande de rester dans ce pays de la terre de Canaan. Il lui répète à cette occasion les bénédictions faites à Abraham. Isaac habite donc à Gerar, capitale des philistins. Il fait passer sa femme pour sa soeur. Ce stratagème réussit jusqu'au jour où le roi Abimélekh découvre la vérité. Abimélekh donne alors des ordres à tout le peuple de ne pas toucher à Isaac et sa femme.
Les récoltes d’Isaac étant particulièrement importantes, il s’enrichit considérablement. Son nom grandit très vite, il doit alors faire face à la réaction négative des habitants du pays.
“Les philistins l’envièrent. Tous les puits qu’avaient creusés les serviteurs de son père (...) les philistins les bouchèrent et les remplirent de poussière.” (Gen. 26, 14-15)
En bouchant les puits, les philistins illustrent les effets absurdes et dévastateurs de la jalousie. Les puits d’Abraham n’étaient pas réservés à sa seule descendance. Toutes les familles de la région, ainsi que les bergers et les agriculteurs en profitaient. En les remplissant de terre, ils se privent eux-même de l’eau si précieuse dans ce pays. Plus encore, les philistins recouvrent les puits de poussière pour que l’on ne retrouve plus leur emplacement. Que la plaine soit un désert, que la terre reste aride, pourvu que l’on ne reconnaisse pas la réussite et les bienfaits de la famille d’Abraham ! Telle est la haine de jalousie, elle détruit surtout celui qui la ressent.
Abimélekh décide finalement d’expulser cet homme qui ne cesse de grandir. Isaac quitte la ville mais reste dans la région. Il creuse à nouveau les puits de son père et les appelle de leurs premiers noms. Ses serviteurs creusent ensuite deux nouveaux puits, ils découvrent ainsi des sources d'eaux vives. Les philistins ne manquent cependant pas de se les approprier. Isaac les appelle du nom de 'Eseq / Dispute et Sitna / Querelle. Une fois de plus il ne préfère pas se mettre en avant. Bien qu'étant dans son bon droit il choisit de s'en aller plus loin. Il creuse un nouveau puits. Point de querelle pas à son sujet, il l'appelle donc du nom de Rehovot / Larges Espaces. De là il monte à Beer Sheva. L'Eternel lui apparaît une dernière fois pour le bénir à nouveau, approuvant ainsi sa démarche. Abimélekh va finalement chez Isaac et scelle avec lui une alliance de paix. Un dernier puits est trouvé, il prend le nom de Beer Sheva / le Puits du Serment.
Isaac fils d'Abraham.
En dehors de ce récit Isaac semble être un personnage de second plan soit de l'histoire de son père Abraham, soit de l'histoire de son fils Jacob. Plus jeune il comprend qu'il porte le bois qui doit servir à son sacrifice et s'enferme cependant dans le silence. Dans le choix de sa propre épouse il ne s'est guère impliqué ! Quand plus tard il décide de bénir son fils Esaü, Jacob prend sa place. Et ici encore, avec les philistins, Isaac paraît très effacé. Ne nous arrêtons pas cependant aux apparences. Isaac n'est pas seulement un personnage intermédiaire, passant le relais entre son père et son fils. Pour découvrir la place qu'il occupe parmi nos trois patriarches, il convient de s'intéresser à ce court récit d'Isaac chez les philistins. Observons pour cela la première parole que l'Eternel lui adresse :
"Ne descend pas en Égypte, demeure (shékhon) dans le pays que je te dirai. Séjourne en ce pays : je serai avec toi et je te bénirai, car à toi et à ta descendance je donnerai tous ces pays et je tiendrai avec toi le serment que j'ai juré à Abraham ton père." (Gen. 26, 2-3)
Vient enfin l'annonce de la multiplication de sa descendance comme les étoiles des cieux et qu'en elle seront bénies toutes les nations de la terre. Ces bénédictions reprennent effectivement celles faites à Abraham. Comparons cependant avec la première parole adressée à Abraham en Mésopotamie :
"Va t'en (lekh lekha) de ton pays, de ta patrie et de la maison de ton père vers le pays que je te montrerai. Je ferai d toi une grande nation, je te bénirai et je grandirai ton nom. (...) en toi seront bénies toutes les familles du sol." (Gen. 12, 1-3)
A Abraham, l'Eternel demande de tout quitter pour s'en aller (lekh lekha) vers un pays qu'Il lui indiquera. Isaac au contraire doit répondre à l'ordre divin de demeurer (shékhon) dans le pays qui lui sera dit. Ces derniers termes sont d'ailleurs ceux utilisés au sujet de l'épreuve du sacrifice d'Isaac.
"Prends donc ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac, va t'en (lekh lekha) au pays de Moriah sur l'une des montagnes que je te dirai." (Gen. 22, 2)
Cette simple comparaison permet de mieux appréhender le récit d'Isaac chez les philistins. En acceptant de résider dans la ville de Gerar, Isaac accomplit un ordre divin au même titre qu'Abraham est contraint à se mettre en chemin. Dans les deux cas il s'agit d'une mise à l'épreuve. Non pas que l'Eternel ait besoin de vérifier la confiance de nos patriarches. Une épreuve dans la Tora est un passage à l'acte, la concrétisation d'un projet, la forme spécifique que prend la personnalité d'un être en fonction de l'étape nouvelle qu'il franchit dans la marche de l'Histoire.
Isaac est le fils d'Abraham, il n'est pas Abraham. La bénédiction est pourtant identique, elle est celle donnée dès l'origine à Abraham. Elle nécessite cependant de la part de ceux qui la reçoivent l'expression de plusieurs capacités différentes mais complémentaires. Au premier de nos pères il est demandé de tout quitter, de s'extraire des nations pour rejoindre la terre de Canaan, tout en assumant son rôle de bénédiction pour toutes les familles de la Terre. Au deuxième il incombe la responsabilité de demeurer en cette Terre envers et contre tout. Tous les deux doivent cependant comprendre que la parole divine n'est pas totalement prononcée, le lieu promis ne fini pas d'être indiqué.
La force d'Isaac
Face à la jalousie et la haine de ceux qui le voient prospérer, Isaac ne doit ni s'enfuir ni pour autant s'imposer fièrement, violemment, arguant de la légitimité conférée par l'Eternel. Le défi d'Isaac à la suite de celui d'Abraham est de se soumettre à l'obligation de résider au sein de cette terre promise sans attendre précisément la réalisation des promesses divines. Mais dans le même temps il doit faire preuve d'une force de retenue exemplaire quand sa démarche n'est pas comprise, objet de suspicion, de querelle et de haine pour ses voisins. Abraham fait l'expérience de l'abandon et de la différence tout en perpétuant et vivifiant l'amour d'autrui, Isaac celle de la détermination dans un projet d'installation sans pourtant manquer de retenue et de patience.
"Quel est l'homme fort ? Celui qui conquit son instinct." (Pirqé avot)
La véritable force est celle de la retenue. Pour se maintenir, l'histoire d'Abraham a besoin de cette force. Ce courage qu'Isaac possède lui permet de creuser les puits d'Abraham et d'en découvrir de nouveau. Nul besoin de multiples péripéties pour découvrir Isaac. Il est le "sacrifice parfait", dont les yeux se sont mouillés des larmes des anges. Ce sont tous ceux qui le côtoient qui se révèlent tels qu'ils sont et tels qu'ils peuvent devenir.