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vendredi 28 février 2014

L'étoile du matin

Ce ne peut être un hasard que des héros bibliques portent les noms de divinités païennes. Esther et Mordékhaï renvoient aux principaux dieux perses Ishtar et Mardouk. Ce rapprochement peut paraître gênant mais, comme nous allons le voir, cela suit une logique spécifique au Rouleau d'Esther.
Intéressons-nous uniquement au pseudonyme Esther-Ishtar qui permet de dissimuler la judéité de la juive Hadassa. Le jeu de mot est très subtil. En perse, il s'agit du nom de la plus importante déesse. En hébreu, il signifie précisément « caché ». Le masque d'Esther est donc entier. L'orpheline juive se cache sous les traits d'une reine perse du nom d'une déesse perse.
Ishtar est la déesse féminine de la beauté et de la guerre. Elle correspond à « l'étoile du matin ». Cachée durant toute la nuit, elle n'est visible qu'à l'approche du matin, à l'Est. Il s'agit de la planète Vénus, le corps céleste le plus brillant après le soleil et la lune, d'où son nom hébraïque Nogah qui signifie "lumière éclatante" (vient ensuite Jupiter, rattaché à Mardouk, appelé Tsedeq en hébreu, "Justice"). Quand cette "étoile" paraît à l'aube, les troupeaux quittent l'étable, c'est pourquoi elle est également appelée « l'étoile du berger ». En hébreu cette étoile est appelée ayelet hashahar que l'on peut traduire autant par « la gazelle du matin » que « la puissance du matin ».
Les mots "astre" en français ou "star" en anglais trouvent leur origine dans le mot Esther-Ishtar. Dans la semaine, le jour de vendredi lui est rattaché à Vénus, dernier jour avant le shabbat.
Les liens entre la déesse Ishtar et la Reine Esther sont évidents. Très belle femme mais également guerrière, c'est elle qui fait pendre Haman et ses fils et qui déclenche la guerre contre les ennemis des juifs. Comme l'étoile du matin, Esther ne révèle son identité qu'à la fin de l'histoire. Le sauvetage ne se produit qu'au dernier moment et en fin d'année, le « douzième mois », à la fin de l'hiver. L'histoire se produit vers la fin de l'exil de Babylone, au moment où le peuple d'Israël commence à retourner sur sa Terre pour y reconstruire le Temple.

קובץ:08.12.01 01 Conjuction of the Moon, Venus & Jupiter.JPG
Conjonction entre la Lune, Vénus et Jupiter, le 1er décembre 2008, he.wikipedia.org
Le roi David a écrit le psaume 22 en relation avec cette étoile du matin. Nos sages nous enseignent que ce psaume renvoie à la reine Esther. Ils étaient donc conscients du rapprochement entre Esther et Ishtar.
Dans ce psaume l'auteur demande à D. pourquoi Il l'a abandonné, pourquoi Il se cache. C'est ce sentiment que les enfants d'Israël ressentent durant l'exil de Babylone. Cette nuit de l'exil devient de plus en plus obscure. Même les étoiles, les prophètes, qui ont illuminé cette nuit ont disparu. L'histoire de ce peuple semble se finir dans des ténèbres angoissants. Après 70 ans d'exil, le décret d'extermination de Haman vient mettre fin tragiquement à la nuit du peuple d'Israël. C'est alors, comme un astre qui n'apparaît qu'au matin, que Esther se révèle. La nuit n'est pourtant pas finie, la délivrance n'est pas totale. Israël demeure en exil mais survit, se reconstruit et peut enfin espérer assister à un nouveau matin.
La délivrance est inattendue. Certaines années d'ailleurs, durant le 12e mois il ne se passe toujours rien. Un 13e mois vient alors et enfin la joie de Pourim peut ressortir.
Il est connu que le Rouleau d'Esther est le seul livre biblique où le nom de D. n'apparaît pas. Il faut donc ajouter qu'à l'inverse, les noms de divinités païennes apparaissent au premier plan au travers des personnages juifs principaux. Dans un monde qui divinisait le hasard, les astres, les rois, les reines et les grands personnages, la méguila fait l'inverse, se joue du hasard et humanise les dieux en se gardant bien d'y mêler le nom du seul vrai D.. Subtiliser les dieux de l'exil, n'est-ce pas ce que Rahel, avait déjà fait ? Le danger est grand. Rahel est morte à cause de cela en donnant naissance à Binyamin, l'ancêtre de Esther et Mordékhaï. Esther aussi y risque sa vie, mais cette fois la délivrance se produit.
Le récit est construit sur un trouble entre le mal et le bien et sur un renversement des identités. Qu'une héroïne biblique porte le nom d'une déesse, est-ce vraiment plus surprenant, plus choquant, que d'être la femme, même contre son gré, d'Ahashvérosh ? On sait comment Shimon et Lévi avaient réagi pour venger l'honneur de leur sœur, prise par un prince.
Le message étrange et risqué de la méguila est que le mal peut se renverser en bien. Ce renversement doit se réaliser de la manière la plus complète. Dans la Torah, les fautes les plus grandes sont celles du meurtre, des unions interdites et de l'idolâtrie. Dans la méguila, elles participent à l'avènement du Bien. Haman et son cruel décret d'extermination sont à l'origine de la réussite des juifs et de leur fête joyeuse. Le harem et son immoralité est le lieu abjecte d'où Esther sauve son peuple. Le hasard et l'absence apparente de D. ont servi à révéler Sa présence. Les absurdes croyances païennes d'Ishtar et de Mardouk servent de trame à l'histoire sainte d'Esther et Mordékhaï.
 
Nous comprenons ainsi le sens d'un midrash concernant la biche :
« La gazelle est un animal qui ne parvient pas naturellement à mettre bas, car ses membres sont serrés. D. fait intervenir un serpent qui la mord. Ses membres se relâchent alors et elle peut mettre bas. »
Bava Batra 16 b

Il serait étonnant que ce midrash ne traite que de zoologie. La gazelle, renvoie peut-être à la «gazelle du matin », l'étoile du berger, la lumineuse planète Vénus, la belle et guerrière déesse Ishtar, la mystérieuse reine Esther. 
Ce midrash nous enseigne certainement que, lorsque la délivrance est extrêmement difficile, le serpent, animal représentant le mal, participe lui aussi à faire naître le Bien.

 



<b>Antoine-Louis Barye</b> : <b>Gazelle</b> : <b>Serpent</b> : Python enlaçant une gazelle
Python enlaçant une gazelle - Daumier - Musée d'Orsay


Une vidéo scientifique sur Vénus :















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