Après une absence de plus de vingt ans, Ya’aqov s’apprête à revenir en Terre de Canaan. Dieu l’a préservé des ruses, des tromperies et de la haine de son oncle Lavan. Mais à présent, il doit faire face à un nouveau danger. Son frère ‘Essav, qui avait juré de le tuer, vient à sa rencontre, accompagné de quatre cents hommes. La Tora nous décrit alors les sentiments de Ya’aqov :
“Ya’aqov fut fort effrayé et plein d’anxiété.”
(Gen. 32, 8)
Les deux questions suivantes se posent sur ce verset : Quelles étaient les craintes de Ya’aqov ? Fait-il preuve d’un manque de confiance en Dieu ?
La crainte des justes
Un midrash interprète ainsi les deux sentiments de Ya’aqov : Il est effrayé à l’idée de se faire tuer et il est anxieux à l’idée d’avoir à tuer. Il pense :
“S’il est plus fort que moi, ne me tuera t-il point ? Et si je suis plus fort que lui, ne le tuerai-je point ?”
(Bereshit Rabba, 76, 2)
Avraham a lui-aussi combattu. Il s’engage dans une guerre pour libérer son neveu Lot et il en sort vainqueur. Cependant l’angoisse habite le coeur de ce juste. Les sages décrivent ainsi son sentiment ; il se dit : “Peut-être ai-je tuer des innocents ?”.
C’est au sujet de ces deux patriarches que nos maîtres évoquent le verset suivant des Proverbes :
“Heureux l’homme qui se tourmente sans cesse.”
(Pr. 28, 14)
Mais ce tourment ne les empêche pas d’être prêts au combat. C’est en effet le même désir de justice et de paix qui leur fait prendre conscience de la nécessité malheureuse de la guerre. Ainsi, le même courage dont ils font preuve les armes à la main les fait rechercher ardemment la paix pour mettre fin à la violence. Leur force, leur esprit et leur coeur s’attachent alors à la réconciliation avec l’ennemi d’hier et à la reconstruction d’un monde juste et en paix.
Angoisse et confiance en Dieu
La peur de Ya’aqov soulève un autre problème. Comment peut-il craindre d’être tué par ‘Essav ? N’est-il pas assuré, depuis son départ de Beer Shéva’, avant même son séjour chez Lavan, que l’Eternel le protège ? Alors qu’il fuit son frère, qu’il est démuni de tout et qu’il est seul, il fait un rêve prophétique. Une échelle est posée à terre et son sommet atteint le ciel. Des anges y montent et y descendent. Le Seigneur s’adresse alors à lui et lui dit :
“Je suis le Seigneur, Dieu de ton père Avraham et Dieu de Yits’haq. (...) Voici que je suis avec toi, je te garderai partout où tu iras et je te ramènerai sur ce sol, car je ne t’abandonnerai pas jusqu’à ce que j’aie fait ce que je t’ai dit.”
(Gen. 28, 13, 15)
Et effectivement, Dieu protége Ya’aqov chez Lavan. Il s’adresse même en songe à Lavan pour l’empêcher de s’attaquer à la famille de Ya’aqov. C’est donc sain et sauf, avec une grande famille et propriétaire d’un grand troupeau, que Ya’aqov se sépare de son oncle. Puis, lors de son retour dans sa terre natale, il voit à nouveau des anges qui viennent à sa rencontre. C’est d’ailleurs en s’inspirant probablement de la vie de Ya’aqov que le psalmiste décrit l’homme confiant en Dieu par les versets suivants :
“Le mal ne t’atteindra pas, la plaie n’approchera pas de ta tente. Car à ses anges il commandera de te garder dans toutes tes voies.”
(Ps. 91, 10, 11)
Ainsi protégé, Ya’aqov devrait, plus que tout autre homme, placer sa confiance en Dieu ! Un midrash pose cette question et répond par une phrase d’une grande portée.
“Un homme, assuré d’être protégé par le Saint, béni soit-Il, s’angoissait et était effrayé ? ! En fait Ya’aqov se disait : ‘malheur à moi, de peur que la faute n’ait des conséquences’.”
(Mekhilta, Beshalakh)
La peur de Ya’aqov s’explique donc par l’inquiétude d’avoir fauté. Il craint de ne pas mériter l’accomplissement des promesses divines. C’est dans le même esprit que Ramban interprète la réaction de notre patriarche immédiatement après le rêve de l’échelle. A son réveil, il émet un souhait :
“Si l’Eternel est avec moi et me garde dans ce voyage que je suis en train de faire, s’il me donne du pain à manger et un habit pour me vêtir, si je retourne en paix à la maison de mon père et le Seigneur sera pour moi un Dieu.”
(Gen. 20-21)
Comment peut-il mettre en doute la parole de Dieu ? Dieu lui a déjà promis une grande descendance. Il sera toujours avec Ya’aqov, le protégera et le ramènera sur cette Terre. Le Ramban déclare alors, en reprennant les termes de notre midrash :
“De peur que la faute n’ait des conséquences.”
Les réactions de Ya’aqov à la promesse divine nous enseigne donc la nécessité de mériter tout ce que nous recevons.
Election et mérite
Lorsque Dieu Lui-même assure d’être toujours avec Ya’aqov, ce dernier comprend qu’il doit mériter ce que Dieu lui annonce. Il lui incombe de tout faire pour y arriver. Ce n’est donc pas la promesse divine que Ya’aqov met en doute, mais au contraire le mérite de sa propre existence.
L’inquiétude de Ya’aqov est un enseignement pour Israël. Ne pas être assez juste, telle est la crainte que le peuple de Dieu doit toujours ressentir. Malgré son “élection”, rien ne lui est acquis. Il a le devoir de mériter sans cesse ce qu’il reçoit ! Toutefois cette responsabilité ne doit pas réprimer son désir d’avancer. Au contraire, une telle exigence doit l’inciter à mener, comme ses ancêtres, tous les combats, pour la justice et pour la paix.
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