L'appel divin
Le
Livre de Shémot se termine par l'inauguration du Sanctuaire par
Moshé et les enfants d'Israël, un an après leur sortie d'Egypte. La nuée de D. emplit le mishkan et Moshé n’entre
pas en ce Sanctuaire qu’il vient d’ériger. Le livre de Vayiqra, livre central de la Torah,
commence alors par un appel de l’E-ternel à Moshé depuis la
« Tente de Rendez-vous » :
"L'E-ternel
appela Moshé et, de la Tente du Rendez-vous, il lui parla en disant
: (...)"
C'est la troisième et dernière fois que la Tora précise
que D. appelle Moshé avant de lui parler. Ces trois appels
invitent Moshé à trois formes nouvelles de révélation.
- au buisson ardent, la première fois que D. s'adresse à Moshé (Ex. 3, 4),
- la première fois qu'Il lui parle sur le Mont Sinaï (19, 3),
- la première fois qu'Il lui parle depuis la Tente du rendez-vous dans le Sanctuaire.
Les
trois appels introduisent trois étapes de l'histoire de Moshé et
d'Israël :
- la délivrance physique de l'esclavage égyptien,
- l'alliance du Sinaï contractée lors de la promulgation du Décalogue,
- l'expression concrète du service divin dans le Sanctuaire.
Depuis le premier appel de D. devant le buisson ardent, malgré l’histoire
extraordinaire qu'il a vécue, Moshé a gardé la même attitude d'attente d'être appelé.
A présent, Moshé et le peuple d’Israël se trouvent au pied du Mont
Sinaï avec un Sanctuaire érigé pour la Gloire de D.. La date anniversaire du premier des mois ravive certainement
les sentiments éprouvés durant les derniers jours de l’esclavage
égyptien. Tout n’était encore qu’à l’état de promesses de
l’E-ternel et confiance en le peuple d’Israël. Depuis, bon gré
mal gré, en un an, le peuple d’anciens esclaves est sorti
d’Egypte, a traversé la mer, s’est engagé dans le désert, a
reçu la Tora et a construit le Sanctuaire, cette « Tente de
Rendez-vous » avec son D.. La timidité première de Moshé aurait pu disparaître pour laisser place à une légère assurance, en toute modestie et sans audace bien sûr. Moshé aurait pu considérer que l'histoire à venir est la suite attendue des actions passées et qu'il était donc lui-même attendu. Or, il n'avance toujours pas, comme au premier jour.
Le
nécessaire appel divin exprime l'idée qu'aucun humain ne peut
imposé une relation au divin. Moïse ne s'approche pas du buisson
ardent, du sommet du Mont Sinaï ou de la Tente de Rendez-vous sans y être invité. Il ne
pénètre pas à l'intérieur du Sanctuaire comme les prêtres païens
entrent dans leurs temples pour invoqués les divinités. Il attend
que l'Eternel le convoque.
Religion d'inhibition et d'autonomie
L'appel divin résout une tension
entre deux attitudes religieuses qui s’opposent : autonomie et
inhibition.
La faute du veau d’or est un exemple de religion
d’autonomie. Animé d'une volonté de célébrer le D. qui les a fait sortir d'Egypte, avec le désir d'établir une
relation avec le divin, le peuple se fabrique un dieu, s’invente
une religion sur mesure.
A l'inverse, Moshé attend l’appel de D.; Il
atteste ainsi que l’humain n’impose pas sa relation au divin. Le divin n'est ainsi assujetti à aucun acte, ni aucune
prière, comme Il ne peut
absolument pas être appréhendé par l'esprit humain. C'est Lui qui initie Sa relation à l'humain. La Tora
considère que le service divin ne doit
pas s'exprimer simplement par instinct. Si l’E-ternel
n’appelle pas, comment prétendre connaître la forme agréée de
service divin ?
Mais, suite à cette réflexion, toute volonté de
Le servir perd son sens. Conscients des limites de la condition humaine devant
l’idéal absolu divin, comment réagir ?
Cette religion
d’inhibition, où la foi en D. s’exprime dans la crainte, est également illustrée par le même peuple d'Israël, au pied du Mont Sinaï avant la faute du veau d'or. Devant la puissante promulgation
des dix paroles, le peuple est saisi de crainte et recule
Il est intéressant de remarquer, dans l'histoire d'Israël au pied du Mont Sinaï, qu'à trop craindre l'absolu divin, on finit par se fabriquer un dieu conçu comme relatif, plus proche et saisissable. Religion d'inhibition et religion d'autonomie seraient les deux facettes d'une même pensée.
Il est intéressant de remarquer, dans l'histoire d'Israël au pied du Mont Sinaï, qu'à trop craindre l'absolu divin, on finit par se fabriquer un dieu conçu comme relatif, plus proche et saisissable. Religion d'inhibition et religion d'autonomie seraient les deux facettes d'une même pensée.
"Hinéni !" "Me voici !"
L'épisode
du buisson ardent nous décrit la forme que prend l'appel de D. à
Moïse avant de lui parler :
"Il
dit : Moïse, Moïse !, et celui-ci dit : Me voici !"
Une fois l’appel divin entendu, Moshé n'avance pas à petit pas en se cachant la face. Il répond « me voici ».
L'humain existe en tant que tel. Ce n'est qu'ainsi qu'il peut se
présenter devant D., avec son humanité, conscient à la fois des
imperfections de son être et de sa prodigieuse capacité de création
qu'il possède. Tel est le sens de la réponse "me voici" :
Entièrement disposé à me retrouver face à Toi. Sans la prétention
idolâtre de Te soumettre à ma volonté. Sans le besoin de me
cacher.
Le même
dialogue s'instaure avec Avraham lors de l'épreuve du sacrifice de Yitshaq (Gen. 22, 1 & 11).
Cet épisode marque l'aboutissement de la vie d'Avraham. Il forme par là-même le prélude à l'histoire d'un peuple après celle d'un individu. Quatre moments de la révélation de D. dans l'histoire humaine sont ainsi introduits par un appel divin suivi de la réponse humaine "me voici".
Cet épisode marque l'aboutissement de la vie d'Avraham. Il forme par là-même le prélude à l'histoire d'un peuple après celle d'un individu. Quatre moments de la révélation de D. dans l'histoire humaine sont ainsi introduits par un appel divin suivi de la réponse humaine "me voici".
Cette
réponse s'oppose à celle faite par Adam lorsque lui aussi est appelé par D. après la faute :
"L'E-ternel D. appela l'homme et lui dit ; Où es-tu ? Il dit : J'ai entendu ta voix dans le jardin et j'ai eu peur, parce que je suis nu et je me suis caché."
Les sacrifices
Les lois
qui suivent le dernier appel divin sont celles des sacrifices. Le mot hébraïque généralement utilisé est "qorban" construit sur la racine QRV qui exprime l'idée du rapprochement. Offrir un sacrifice reviendrait donc à s'approcher du divin. On retrouve donc, dans le cadre des sacrifices,
la même tension entre autonomie et inhibition. Ils constituent
souvent l’expression d’un don spontané, un désir de servir
D.. Dans la Torah, cette volonté prend place à l’intérieur du service divin
mais doit également répondre à un ordre. Les lois des sacrifices
donnent une forme, définie par D., au désir humain de le servir, de s'approcher de Lui.
Nadav et Avihou, les enfants d’Aharon, illustreront tragiquement un
service de D. avec un « feu étranger que l’E-ternel n’a
pas ordonné ».
D’une
manière plus générale, toutes les mitsvot de la Tora doivent être
accomplies comme des ordres qui nous dépassent, qui s’imposent à
nous en tant que lois divines. Mais dans le même temps, nous devons
être capables d’exprimer dans notre service divin notre volonté.
Mieux encore, à travers les mitsvot et l’appel divin qu’elles
transmettent, nous devons être capables de découvrir et d’affirmer
notre identité. « Hinéni », « me
voici » !,
Le culte exprimé par les sacrifices semble aujourd’hui caduque. Comment supposer que les sacrifices plaisent à D. ? Egorger un animal, asperger de son sang sur l’autel, le dépecer et le faire brûler sur l’autel, tel serait le service offrant “une odeur délectable au Seigneur” ?!
Nombreux
sont ceux qui considèrent que cet ensemble de loi n’était
nécessaire que pour les hébreux des temps antiques. Accoutumés
depuis peu à la foi en un D. unique et désirant le bien de
l’homme et entourés de peuples païens offrant parfois leurs
propres enfants aux dieux, le peuple d’Israël ne pouvait concevoir
autrement le service divin. Pour la masse de ce peuple la question
était inverse : Comment plaire à D. sans verser la moindre goutte
de sang, sans sacrifier quelque chose ? Les prophètes auraient
d’ailleurs tenter de faire comprendre au peuple son erreur.
A
quoi bon pour moi l’encens de Saba et la plante aromatique d’une
terre lointaine ? Vos holocaustes ne sont pas pour me plaire et vos
sacrifices ne me sont pas agréables.
Cette
opposition de Jérémie (6, 20) aux sacrifices se retrouve
effectivement dans d’autres chapitres et chez d’autres prophètes
(Jr. 7, 3-11 ; 14, 12 et Os. 6, 6 par ex.). Mais ne nous trompons
pas, ces quelques versets choisis des prophètes ne rejettent pas le
culte sacrificiel en tant que tel. Ce que D. réprouve c’est le
sacrifice offert pour “se donner bonne conscience”. La critique
des prophètes va à l’encontre de ceux qui en pratiquant un culte,
de quelque nature que ce soit, pense Lui faire plaisir afin qu’il
ferme les yeux sur leurs travers. Les prophètes s’opposent à ceux
qui croient simplement s’acquitter de leurs devoirs envers D. par
un acte accompli ou une formule prononcée. Quant au service du
sanctuaire, tel qu’il est décrit dans le Lévitique, les mêmes
prophètes regrettaient qu’il soit ainsi rabaissé et annonçaient
son rétablissement pour les temps messianiques. Ils annoncent au contraire
son rétablissement pour des temps messianiques (Mal. 3, 4) :
"Et
elle plaira à l'Eternel l'oblation de Juda et de Jérusalem, comme
aux jours d'antan et aux années d'autrefois."
L'opinion
des prophète est donc opposée à celle qu'on leur attribue. Le
service sacrificiel se doit de correspondre à l'état idéal d'une
société respectant le droit et la justice, empreinte d'un souci de
vérité. Le mystère des sacrifice reste entier.
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